Le livre ouvert : Remembrances ACCUEIL


Christian Talbot Publications
Incrédule, je regarde ma main : ça ne saigne pas encore, mais, à la base de l'indexe, pendouille un lambeau de chair de la taille d'une pièce de 20 sous, découvrant la blancheur nacrée du tendon. Ça faisait un mal de chien et, curieusement, engendrait un rire. Sortant de derrière la haie, sur ma droite, le Popol se fendait la pipe.
Ce tordu m'avait allumé au lance-pierres avec un tesson de bouteille.»
Papa me montre sur l'articulation, cette cicatrice en forme d'étoile que je lui ai toujours connu, et dont il vient de me conter la genèse. Il ajoute :
«Après, ça a beaucoup saigné. On a bien essayé de remettre le morceau de barbaque en place sous le pansement, il ne s'est jamais recollé.»

Souesmes, le 28 février 2011.
  Philomène, rentre des champs.

Grâce à l'argent gagné lors de ses campagnes en tant que maçon, le père Gilles (Augustin de son prénom) acheta, petit à petit, des parcelles de terrain disséminées dans et autour du village de Grand'Sagne, constituant ainsi avec la maison des Tailles, un gentil petit patrimoine.
Lorsque Philomène quitta Félix “pour de bon”, elle embarqua ses deux derniers enfants, Aline (11 ans) et Pierre (encore nourrisson), et retourna vivre chez ses parents. Les vieux décident alors, pour donner un moyen de subsistance à leur fille, de prendre leur retraite (3) et de léguer leurs biens, de leur vivant, à leurs enfants. Le patrimoine est divisé en trois lots : la maison des Tailles (premier lot) et les terres (deux lots). Tirage au sort. Maria, mariée à un monsieur Labesse, entrepreneur en bâtiment, tire la maison. Philomène obtient le lot comprenant, entre autre "la Grosse Pierre" ; Lucien, l'autre lot terrien. Maria, installée avec sa famille dans une demeure bourgeoise du village, loue la maison à Philomène tandis que Fanchette et Augustin se retirent dans une masure proche des Tailles. Ils vont manger alternativement chez l'un ou l'autre de leurs enfants. Quand décéda Augustin, la Fanchette consacra toute son énergie à aider Philomène.
La pauvre vieille fera un malaise, un jour, en préparant le repas, et tombera dans son âtre (4) . Entrant dans la maison, le petit Pierre la trouve toute ratatinée dans la cheminée, s'approche, la touche et dit à Philomène qui entre au même instant : « Oué keute !» (“Elle est cuite”, en patois). Le traumatisme est tel que quatre-vingts ans plus tard il dit avoir encore cette odeur dans le nez et que, de toute sa vie il refusera d'avoir une cheminée dans sa propre maison.

(3) C'est, bien sûr, une façon de parler : à l'époque, ils ne recevaient aucun subside.
(4) J’en aurai une autre version en causant avec Jean Labesse (le fils de la Rosière) : l’intérieur de la maison aurait entièrement brûlé et Fanchette aurait été retrouvée recroquevillée sur son lit où elle aurait tenté d’étouffer le feu qui la consumait en s’enroulant dans l’édredon.
9 10