Le livre ouvert : Remembrances ACCUEIL


Christian Talbot Publications
Mais l’investissement immédiat le tente peu. À cette exception près : dans un petit abri de ciment, à la limite du jardin et de la clôture du fond, le long du tas de bois pour l’hiver, il y a la mobylette de Félix sur laquelle Pierrot se verrait bien monter. Pierre, le mari de Mine, a une moto flanquée d’un side-car. René et les autres beaux-frères ont des automobiles. Or, on ne passe le permis qu’à 21 ans ! Et, le vélo, il en a un peu “sa claque”. Estimation, tractations prendront plusieurs semaines. Finalement, pour 400 francs, il rachètera la part des autres et en deviendra propriétaire.
Que faire du reste ? On le voit, les banques et autre caisses d’épargne ne sont pas très en vogue dans les classes laborieuses. Il confie donc le pactole à sa mère en disant : « Range ça à l’abri. Tu me les rendras plus tard : ce sera pour mon mariage. » Et il sait déjà qu’il attendra le temps qu’il faudra, mais il épousera Simone qui, pour l’heure, n’a que 15 ans et demi.
Un an plus tard, la guerre est déclarée. Au passage du conseil de révision, il a été jugé inapte à l’incorporation (à cause de sa petite taille ?). Puis il est recherché par le S.T.O. (29). Il ruse, change de région, de métier, de nom. Il est finalement pris et expédié dans la Ruhr où il passe-ra plus de temps à se faire porter pâle qu’à travailler, et encore, avec bien peu de zèle.
Bénéficiant d’une permission, il rentre en France et disparaît à nouveau. Sous le nom de Texier, il est bûcheron près d’Aubevoye, dans l’Eure. Et comme Simone a été mise à l’abri à Vernon chez une tante qui y tient un hôtel, les amoureux se retrouvent certaines fin de semaines.
Ma mère atteint ses 21 ans le 6 janvier 1944 et, bien que mon père soit toujours recherché, ils publient les bans et se marient, en plein Paris occupé, en mars (30). Pour ce faire, mon père récupère son viatique. Las ! L’inflation galopante des années de guerre a fait son œuvre. Sa “fortune” lui permettra, en tout et pour tout de se payer un costume neuf et un jambon pour la noce !

(29) Service du Travail Obligatoire qui envoie, de force, une main d’œuvre bon marché en Allemagne pour remplacer les ouvriers allemands partis au front ou décédés.
(30) Ma sœur aînée ne naîtra que le 2 mai 45. Réglos, les parents !
  Félix TALBOT dans les années 1920.

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