Le livre ouvert : Remembrances ACCUEIL


Christian Talbot Publications
Première communion.

Avant d'arriver en Bretagne, j'avais déjà entendu parler de cette ségrégation linguistique exercée dans les écoles de la république : on ne devait y parler que le français. Depuis, des copains bretons m'ont raconté que, dans les années 50 encore, dans certaines petites écoles du terroir profond, des enfants avaient dû porter autour du cou un écriteau infamant, simplement parce que quelques mots de Breton leur avaient échappé. Et il en était de même en pays Gallo ainsi que, je présume, dans toute région où un parler local sévissait. Né à Paris, je n'ai rien connu de tel, quoi que, si on y réfléchit bien, l'argot est bien une sorte de patois parisien (plus précisément montmartrois) qu'il ne faisait pas bon utiliser en classe.
Alors, en Creuse dans les années 20, j'imagine que cela ne devait pas être tout rose pour les petits "bouseux". En ce qui concerne mon père, je ne sais pas trop pourquoi il n'a mis les pieds à l'école qu'à l'âge de sept ans mais il est affirmatif sur le fait qu'au moment où il y a débarqué, il ne parlait pas un mot de Français.
Prise au pied de la lettre, cette affirmation est fausse car le patois creusois contient un grand nombre de mots identiques en Français. Cependant, si on tient compte d'une quantité de faux amis et d'un système grammatical très différent, on peut comprendre que le jeune garçon se soit senti en pays étranger.
D'autant qu'il devait être assez sauvage, le petit Pierrot. À Grand'Sagne, il y avait peu d'enfants de son âge. Il était entouré de vieux qui ne parlaient que le patois et les jeunes qui connaissaient le français n'employaient, au village, que le patois. Donc, même si d'autres enfants venant de villages environnants se trouvaient dans la même situation que lui, son arrivée à l'école a dû lui offrir un grand moment de solitude.
En dépit de cela, son intelligence très au-dessus de la moyenne lui autorisa une intégration rapide au système scolaire même si, jusqu'à l'âge de 11 ans, il préféra le jeu aux études(A). Il était curieux, observateur, cherchant toujours le "pourquoi du comment", lisant beaucoup et réfléchissant sans cesse(B). Mais, revers de la médaille ou conséquence logique, ce fut un rebelle.
  « … Et, à cause de ça, j'ai bien failli ne pas la faire, ma communion ! »
Comme souvent quand la conversation roule sur des sujets divers, je ne suis pas très attentif. En l'occurrence, nous regardons les infos à la télévisions et, par-ci par-là, des commentaires fusent. Je m'efforce de suivre en même temps un reportage et ce que dit mon père. Lui, a embrayé sur le sujet précédent qui traitait, je crois, de l'influence de la production de CO2 sur les changements climatiques. Nous ne sommes guère d'accord sur ce thème et je m'efforce surtout de ne pas envenimer le débat.
Mais quand j'entends "ma communion", je dresse l'oreille :
— Oui, je sais, l'histoire des hannetons. Philomène a dû intervenir pour que la sanction soit levée ?
— Mais non, tu n'y es pas du tout ! Ma mère n'en a jamais rien su, sinon, ça aurait fait du vilain. Le problème était autrement plus grave, tenant au fait, comme je te le disais tout à l'heure, que je n'ai jamais été convaincu de quoi que ce soit sous prétexte que c'était la pensée commune. Pour rattraper ce coup-là, il fallait que je me débrouille tout seul, et je m'en suis pas trop mal sorti. »
« L'année du CM2 était aussi celle de la première communion. Tout le monde se devait de la faire. Mais, avant, il fallait s'en montrer digne en participant avec succès aux séances de catéchisme dispensées par le père Charles, le vieux curé de Bonnat. Dire qu'il n'était pas commode est encore en dessous de la vérité : intransigeant, voire carrément sectaire, oui ! Un jour, en chaire, il a dit qu'il ne voulait plus voir de "sous troués"(C) dans le produit de la quête.
Ça avait lieu le jeudi matin, ce qui ne m'arrangeait guère, me privant d'une demi-journée de jeux avec les copains. Nous étions réunis dans l'église elle-même, sur les bancs où, le dimanche, les gens venaient écouter la messe. Chacun avait reçu un livre spécialement conçu pour cette préparation. Et je me souviens très précisément que, sur la première page, on pouvait lire cette phrase : « La religion est une chose que vous devez croire même si vous ne la comprenez pas. » S'il y a bien une chose que je n'ai jamais pu faire, c'est croire en quelque chose que je ne comprenais pas.
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