Le livre ouvert : Remembrances ACCUEIL


Christian Talbot Publications
Vierzon – Bonnat, ce sont 130 km à se taper ! À l’aller, tout se passe bien : un dimanche estival comme tout vacancier peut en rêver. Et le dimanche suivant, après déjeuner, il faut rentrer pour embaucher le lundi matin. Là, ça se gâte du fait d’un de ces orages d’août que les agriculteurs redoutent tant. Pierrot embrasse sa mère et enfourche sa bicyclette sous des trombes d’eau en dépit des : « Pars pas, mon p’tit, attends que ça s’égoutte ! Tu vas m’attraper la mort ! ». Au bout de quelques kilomètres, il s’arrête à l’abri d’une grange, ouvre la valise en carton bouilli qu’il a ficelée sur le porte-bagages et change une première fois de vêtements. Il attend un peu, au cas où ça voudrait cesser. Mais rien à faire, le temps le presse et il doit reprendre sa route sous le déluge.
Finalement, il arrivera à Vierzon à la nuit noire et en pyjama car c’est tout ce qui lui restait d’à peu près sec. À peu près, dis-je, vu que les vêtements trempés ont mouillé le reste, dans la valise qui, elle-même, s’est lamentablement avachie de part et d’autre du porte-bagages (23). La Mémé avait l’habitude de dire, quand il pleuvait, que si les poules continuaient à picorer dehors, c’est que la pluie allait durer : il faut bien se nourrir !

Revenons à l'héritage :
Mine, qui n’a pas froid aux yeux, monte au grenier. C’est apparemment là que dormait Félix. Près de la descente de l’escalier, un tas de blé pour nourrir les poules. Posées sur les solives (ou les chevrons, je ne sais jamais), les tuiles exhibent la marque du fabriquant : “Perusson de Fontafie” (24). Au raz de la montée de cheminée, un minuscule vasistas. Posé à même le plan-cher brut, côté pentu du toit, un sommier, un matelas de laine quelque peu avachi, un édredon ventru. En face, une ouverture close d’un simple volet de bois aurait pu servir à engranger du foin. Mais je n'ai jamais trouvé d'échelle qui pût y monter. Et, derrière le lit, là où la lumière ne va guère, tout un fatras d’objets, caisses, cartons et malles.

(23) Curieusement, cette valise existe encore : comment Philo lui a-t-elle redonné "forme humaine", mystère…
(24) Allongés sur notre matelas pneumatique, nous déchiffrerons, ma sœur et moi, ces mots répétés à l’envie.
 
Elle fouille, furète. Cherche-t-elle quelque chose de précis ? Peu importe. En ouvrant une malle, elle découvre un tas de billets de banque (Ils sont bien plus grands que ceux dont nous avons l’usage à présent) : les économies du père. Il y en a plus que ses mains ne peuvent en porter. Alors, elle ramasse son “devanteau” (25) et y entasse les “biftons”. Puis elle redescend dans la cuisine et étale le tout sur la table d’un geste auguste et triomphant. Et la surprise est de taille : environ 45 000 francs.
Évidemment, cet argent liquide ne sera pas déclaré dans la succession. C’est bien assez de payer des droits pour la maison. Seulement, il y a la Maria… qui, semble-t-il de notoriété publique, concubinait avec Félix. Compte tenu de cette intimité, était-elle au courant de la présence du magot ? Personnellement, je pense que non. Connaissant les Talbot et leur sens de la propriété personnelle, j’imagine mal mon grand-père faisant ce genre de confidences à une simple partenaire de galipettes. Or, il pouvait l’épouser et ne l’a pas fait ; non plus que la coucher (26) sur un testament (qu’il n’a pas rédigé) bien que se sachant condamné (27).
De plus, étant la plus proche voisine et ayant ses entrées dans la maison, elle eût pu se servir allègrement avant l'arrivée des enfants, sans que quiconque en sût quoi que ce soit. D’où ma conviction qu’elle n’en savait rien.
Cependant, un doute subsiste. Ainsi, peut-être même sur les conseils du notaire, il est convenu d’acheter son silence. On compte, on fait des tas. Six. Un pour chacun des enfants, plus un pour la Maria. Déduction faite des droits et des frais de l’enterrement, chaque tas s’élève à 7000 francs (28). Avec une telle somme, on pourrait s’acheter une petite maison ou, et c’est ce qui frappe l’imagination de mon père, une Traction neuve.

(25) Son tablier, devant la blouse.
(26) Pardonnez-moi, ça m'a échappé …
(27) René fera de même avec Yvette après la mort de sa femme.
(28) Soit environ 21 000 €.
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