Le livre ouvert : Remembrances ACCUEIL


Christian Talbot Publications
Du coup, entre le père Charles moi, c'était assez mal parti. Je remettais sans cesse en question ce qu'il nous disait, si bien que, le jour de l'examen final (on peut appeler ça comme ça) il m'a annoncé que je n'étais pas prêt et qu'il s'opposait à ce que je fasse ma communion. J'étais catastrophé : ça allait faire un drame au village.
Il y avait aussi une fille du Chevesron qui avait échoué parce qu'elle ne connaissait pas son catéchisme. Dans la sacristie, se trouvaient deux autres curés : celui de Chéniers et, peut-être, celui d'Aigurande, occupés à remplir leurs burettes pour la messe du dimanche suivant. Au moment de rentrer chez soi, profitant du fait que le père Charles était accaparé par les autres, j'ai pris la main de la gamine et je suis allé frapper à la sacristie. Quand on nous a dit d'entrer, nous l'avons fait la tête basse et l'air penaud.
“ Que voulez-vous mes enfants ? a demandé l'un des curés.
— C'est le père Charles, mon père, il ne veut pas que nous fassions notre communion.
— Ah, bon ! Et pourquoi cela ?
— Il dit qu'on ne sait pas suffisamment bien notre catéchisme.
— Si ce n'est que ça, voyons un peu ce que vous en savez. ”
Il se mit alors à nous poser quelques questions simples. Pour la circonstance, je n'ai pas fait le malin et j'ai répondu correctement. Les réponses, je les connaissais. J'avais alors une excellente mémoire : du moment que ce n'était pas trop long, il me suffisait de lire un truc une fois pour m'en souvenir. À l'école, les récitations par exemple, je ne les apprenais pratiquement jamais. Il suffisait que deux ou trois camarades aient récité avant moi pour que, quand venait mon tour, je connaisse le texte par cœur. Seulement, quand l'instituteur décidait de prendre la liste par le bas, là, j'étais cuit.
Ils n'ont même pas interrogé ma copine qui se contentait de hocher la tête d'un air approbateur pendant que je répondais. Ce qu'ils ont dit au père Charles pour le faire changer d'avis, je n'en sais rien. Mais, quoi qu'il en soit, nous fûmes autorisés à faire cette fichue communion et, à nos yeux, c'était là le plus important. »
 
« Bien belle l'histoire, mon papa ! Pas très morale mais édifiante. Et les hannetons ? Je ne sais toujours pas comment ça s'est passé. Pourtant, depuis que je suis tout petit, je t'entends évoquer l'anecdote sans jamais en avoir connu les détails.
— Bon, si ça t'amuse… En fait, ça devait être au début du printemps. »
« Ce jour-là, en attendant le début du catéchisme, j'étais allé cueillir des noisettes. Et, en attrapant une branche, je vois tomber par terre une flopée de hannetons. Comme il était bientôt l'heure, je les fourre dans la poche de ma culotte et je bourre mon mouchoir par-dessus avec l'intention de jouer avec plus tard(D). Le père Charles commence sa leçon. On lit des trucs, il nous pose des questions... Au fond de ma poche, je sens que ça grouille et s'agite. J'ai hâte de me retrouver dehors. Mes hannetons aussi. Tout à coup, l'un d'eux réussit à se faufiler entre la doublure et le mouchoir. Moi, je ne peux rien faire : nous sommes peu nombreux, le curé a toujours l'œil sur chacun de nous. À peine sortie, la bestiole s'envole en vrombissant et va se cogner dans un vitrail puis dans un autre en passant au-dessus de nos têtes comme un avion. Tous les gamins se fendent la pipe et poussent des petits cris en faisant semblant d'avoir peur d'être percuté par le projectile. Déjà, un deuxième a suivi le même chemin, et un troisième avant que ma main, n'ait eu le temps de renfoncer le mouchoir pour interdire le passage aux autres. Le chahut est général et le vieux, le visage tout rouge, s'époumone pour rétablir le calme. Il a probablement repéré mon geste car, sans l'ombre d'une hésitation, il pointe sur moi un doigt monstrueux(E) et vengeur m'intimant l'ordre de quitter les lieux. Sur le moment, je m'en fichais complètement. La seule chose que je voyais, c'est que j'aurai plus de temps pour jouer. »

San José, le 25 avril 2010.
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