Le livre ouvert : Remembrances ACCUEIL


Christian Talbot Publications
À propos de coups reçus, mon père enchaîne :
«Combien de fois ai-je entendu des adultes dire : « Mais tu l’sentiras plus quand tu te marieras. » Moi, je ne pouvais pas me plaindre, quand Philomène me battait, j’étais averti. « Aye pas po, to zauras ! (1) » disait-elle, sur le moment. Et, de fait, le soir quand je n’avais plus de défenses, que j’étais cul nu sous la chemise de nuit … Le long du lit, il y avait une chaise. Je me déshabillais debout sur la chaise parce que le sol était glacé. J’avais déjà oublié la menace, j’étais redevenu innocent ; mais pour elle, c’était l’heure des comptes. Elle le guettait, le moment. Dans la journée, on était tout le temps dehors et j’étais bien trop agile pour qu’elle puisse m’attraper. Les portes fermées, les pièces exiguës …
C’était tantôt des genêts (je préférais le genêt), tantôt les orties. Oh là, là ! les orties, quand elle me les passait entre les jambes, là, sous les fesses, ça me cuisait jusqu'au matin.
Le balai, il était sur le “paume”. Tu sais au-dessus de la cheminée il y a une traverse en bois avec deux retours, où on mettait le sel, le poivre, bref ce qui craint le plus l’humidité. Et sur l’un des retours, il y avait un clou auquel on accrochait la branche de genêts qui servait à la fois de balayette et de fouet. Dame, quand il était trop sec, on le prenait pour allumer le feu et on allait en cueillir un autre. Quand il est vert, ça cingle bien. »

(1) "N'aie pas peur, tu l'auras !"
  Les mains dans les poches.

« En ce temps-là, les hivers étaient sacrément plus rudes qu’aujourd’hui. De novembre à mars, on était gercés de partout avec des engelures aux mains qui faisaient crevasses. Ce jour-là, nous étions allés jouer dans l’Aage, Jean Rosier, Paul Milet et moi. C’est un pré, appartenant au château, à droite en sortant du village sur la route de Chénier. L’eau affleurant de terre avait gelé, mais ce n’était pas une surface lisse. Loin de là ! C’était même tout bosselé à cause des sillons de l’année précédente. On ne connaissait pas les patins à glace, mais avec nos sabots cloutés par en dessous, on faisait de sacrées glissades. Je ne sais plus pourquoi, peut-être simplement parce que j’avais froid aux mains, j’ai dit : « Chiche ! Cette fois, les mains dans les poches ! » Et je me suis lancé. Oh, ça n’a pas été bien loin. Quelques pas d’élan, je butte dans un truc et je valdingue la tête la première. Pan ! ça a fait. J’étais sonné. Les copains se ramènent et se mettent à rigoler en criant : « Tu l’as cassée ! Tu l’as cassée ! » De fait, là où ma tête avait frappé, la glace était étoilée comme une vitre.
J’ai ramené mes cheveux sur le devant, pour cacher la bosse et enfoncé mon béret au maximum. Le soir, ma mère n’a rien vu. Mais au bout de peu de temps, c’est descendu et je me suis retrouvé avec les deux yeux au beurre noir. Une vraie paire de lunettes !»
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