Dany.
Dany est décédé, si j'ai bonne mémoire, en décembre 2009.
C'était une figure de San José au sens où il ne laissait pas indifférent. Il pouvait avoir 40 ou 45 ans mais, avec son visage buriné et quelque peu ravagé par l'alcool, ses longs cheveux tout gris, clairsemés sur le haut du crâne et sa longue barbichette parfois tressée, parfois nouée, il en paraissait 60.
Venu de Montpellier, je crois, il s'était posé dans le village à la fin des années 80. Il faisait partie de cette nuée de rockers-bikers qui ont sillonné l'Europe, et il cherchait peut-être dans ce parc naturel de Cabo de Gata, les traces de Joe Strummer (1). Il ne se déplaçait pas sans sa Harley-Davidson.
Depuis quelques années, ils tenaient un bar (le bar à Dany) du côté du Sotillo (2).
En août 2009, nous avions bu une bière ensemble (enfin, moi je n'en n'ai bu qu'une) au Bocata y Fuga de Paul Marquez. Il portait alors un tee-shirt dédicacé d'un groupe de rock'n'roll disparu et un pantalon africain aux dessins bariolés. À ses pieds, une paire de rangers et, sur son dos, l'éternel blouson de cuir orné d'un aigle, dessiné avec des rivets, et d'une multitude de franges.
Lorsqu'il est sorti du bar, vers 14 heures, et a enfourché sa moto, il tenait à peine debout. Un coup de vent a soudain plaqué le tissu de son pantalon sur ses jambes qui étaient affreusement maigres. J'ai dit à Paul : « On le laisse partir comme ça ? » et Paul a répondu, philosophe, que la moto connaissait le chemin.
D'après ce qu'on m'a raconté, un soir de décembre, en rentrant chez lui, il s'est rendu compte qu'il avait oublié ses clés. Cela lui arrivait, semble-t-il, souvent. Et, comme il l'avait déjà fait, il aurait voulu grimper par la façade pour accéder au balcon, la fenêtre étant restée ouverte. Il est tombé et s'est brisé la colonne vertébrale. Cependant, il n'est pas mort sur le coup. Ce n'est qu'au matin qu'on a découvert son corps.
(1) Le chanteur et guitariste emblématique du groupe punk "The Clash" y séjournait fréquemment. (2) Quartier de construction récente à l'entrée du village. |
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Sa sœur est venue organiser les obsèques. C'était la première fois qu'elle mettait les pieds à San José. Elle s'y est trouvée bien. Elle est restée. Je l'ai rencontrée aux vacances de Pâques suivantes. Nous avons discuté un peu, elle cherchait du travail.
Au mois de juin suivant, elle est morte à son tour, d'un cancer qui la rongeait déjà bien avant d'arriver ici.
Aujourd'hui, c'était la réouverture du bar de Dany. Il s'appelle désormais le "Jobard". Un autre rocker, du nom de Jo, qui tenait déjà un bar à musique en plein air, a repris l'affaire. Je suis allé y faire un tour, par curiosité. Les deux copains qui devaient m'accompagner se sont finalement désistés. L'un d'eux a dit : « Jo, il a bien changé. » Puis il a ajouté quelque chose sur la façon "peu claire" dont s'était passée la reprise.
J'ai été très étonné de voir la quantité de gens qui se pressaient là : sales, chevelus, avec boucles d'oreilles et autres piercing, dépenaillés façon baba cool, très rock 'n' roll ou voulant le paraître, Ells Engels à moto (j'ai compté pas moins de 15 Harley-Davidson toutes "personnalisées"), toute une faune que je ne pensais pas devoir exister dans ce village.
Dans un coin, se trouvaient une batterie et deux micros éclairés par quelques projecteurs. J'ai pris une bière et attendu un peu espérant la venue de musiciens. Et je ne connaissais personne (à part de vue) et personne ne semblait me connaître. L'ambiance générale et l'aspect des présents évoquaient Dany, certes, mais dans les conversations que j'ai captées en circulant, mon verre à la main, je n'ai entendu personne parler de lui ou simplement citer son prénom. Je me suis senti totalement déphasé et, au bout d'une trentaine de minutes, je suis rentré écrire ceci.
Parfois, des lieux les plus paradisiaques peuvent devenir très moches.
San José, 15 avril 2011. |