Le livre ouvert : Souvenirs. ACCUEIL


Christian Talbot Publications
depuis le balcon du cinquième étage. Je pouvais avoir quinze ou seize ans. M'étant un peu lié avec le garçon coiffeur qui s'occupait de mon cas et ne devait pas être beaucoup plus âgé que moi, j'osai ce jour là lui suggérer de «ne pas les couper trop court …». De ce fait, il dut éprouver une certaine gêne, n’ayant pratiquement rien à couper.
Le soir, c’était à coup sûr un vendredi, mon père me dit : «Tu es allé chez le coiffeur ?» Sur ma réponse affirmative, il enchaîna quelque chose du genre : «Tu t‘es fait voler 5 francs.» Puis il conclut par cette phrase terrible : « Nous y retournerons demain !» Et nous y retournâmes. Ce fut forcément un samedi après-midi, puisqu’il m’y accompagna. Non, il m’y emmena, m’y traîna presque.
Ayant fait savoir à l’arpète qu’il n’était pas satisfait du travail fourni, il commanda qu’on recommençât. Le dit arpète s’exécuta et je lisait dans son regard autant de compassion que d’effroi mêlés au reproche, comme il dut lire dans le mien la honte et la haine.
Quand tout fut consommé, nous nous apprêtâmes à sortir et mon père lança : «Je vous doit combien ?» à moins que ce ne fut : «Je ne vous dois rien, n’est-ce pas ?» Quoi qu’il en soit, nous partîmes sans rien régler.
Deuxième tentative.
J'étais en première, voire en terminale. Mon surveillant général (1) , bien brave homme au demeurant mais je ne l'admis que beaucoup plus tard, m'enjoignit de profiter de mon jeudi de congé pour aller me faire "ravaler la colline". Le vendredi, constatant que je n'avais pas obtempéré, il m'octroya un sursis jusqu'au lundi suivant. En pure perte. Une bravade qui me valut quatre heures de colle.

Dès le début des années soixante-dix, cédant au "flower power" mes cheveux croulèrent sur mes épaules. Puis je devins raisonnable tout en conservant une tignasse abondante.
Enfin, quand les bruns commencèrent à choir et que le sel domina le poivre, probablement aussi par commodité (crinière et casque de moto ou chapeau se mariant mal à mon goût) mes coupes de cheveux se firent de plus en plus courtes.

(1) D'origine malgache, il avait un nom à rallonge de six ou sept syllabes. Par commodité, il l'avait réduit à deux : Rabé.
  Aujourd'hui, j'utilise une tondeuse électrique et me rase quasiment le crâne. Parallèlement, je me couvre de plus en plus souvent le chef : bonnet parfois, toque de fourrure importée de Pologne par grands froids (mais ils sont rares dans nos régions), kippa par provocation, feutre le plus fréquemment possible, que nous sommes quelques uns à tenter de remettre au goût du jour.
Ce qui est assez incroyable, c'est que j'apprécie particulièrement de me passer la main sur la tête juste après que la tondeuse a rempli son office, pour éprouver sous ma paume le crissement du poil dru.
J'ajouterai que j'éprouve souvent l'envie (mais je me retiens, le spectre de la pédophilie étant de nos jours un fléau qui nous pousse à réfréner des gestes bien innocents et purement affectueux), j'éprouve souvent, disais-je, l'envie de passer la main sur la chevelure en brosse de garçonnets que je côtoie. Et je ne réfrène guère le sourire attendri qui, malgré moi, répond à la boule d'émotion roulant sous mon diaphragme.

Saint Germain, 22 décembre 2005.
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