Les dames de la côte.
J'ai déjà évoqué mon copain Jean-Michel (1). Plutôt grand (2), blond chevelu et jovial, il exhibait une paire de bacchantes broussailleuses qui lui donnaient une allure très "british". Moi, j'étais avant tout danseur. Lui, pas du tout. Raide comme un verre de lampe, gauche, emprunté… N'empêche que, quand la productrice Mag Bodard m'a embauché pour régler les chorégraphies de "Les Dames de la Côte", il m'a sauvé la mise.
Il y avait une scène de bal bourgeois dans laquelle les invités (en grande majorité des figurants que j'avais recrutés et entraînés) devaient danser la Valse anglaise et la Habanera (3). Il y eut certaines séances assez folkloriques : imaginez trente personnes (ou plus) dans mon petit studio de la rue Vic d'Azir, se marchant sur les pieds, et moi les dirigeant avec aux bras la petite Loumir, fille de Fanny Ardant, qu'elle n'avait pu faire garder. Que de fous rires !
J'avais plus particulièrement fait travailler Fanny, elle-même très raide et très gauche, me réservant d'être son cavalier lors des prises de vue, sachant que les gros plans seraient sur elle, et donc aussi sur moi (charité bien ordonnée… je voyais se profiler un tremplin).
Bien sûr, elle était un peu grande. Un jour, pour filmer une scène en tête-à-tête avec Francis Huster sous un pommier, on avait dû creuser un trou dans la terre et lui faire mettre les pieds dedans pour que son visage soit à la hauteur de celui de Francis. Pour ma part, je comptais utiliser une paire de bottines à talons et semelle compensée (4) pour donner le change. Hélas ! Quand elle venait aux répétitions, elle portait des chaussures plates mais le jour du tournage, on lui fit mettre des talons hauts.
«On se la fait une fois, juste pour les places», crie l’assistant.
La musique n’était pas encore lancée que Nina Companeez stoppait tout. «Ça ne va pas, ça ne va pas !» À mon grand dam je devais en convenir, ça n’allait pas. La réalisatrice me fusilla derrière ses lunettes ovales cerclées de métal et choisit elle-même : «Le grand blond … là-bas !»
(1) Lire "Première HD". (2) Par rapport à moi en tout cas ; mais je crois l'avoir déjà écrit, par rapport à moi, tout le monde est "plutôt grand". (3) Peut-être l'ancêtre du Tango ou une variante vaguement "guindée". (4) Des "Charles Jourdan" qui, à l'époque, m'avaient coûté la peau des f… |
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«Je suis désolé, Nina, mais celui-là je l’ai pris pour faire nombre, il n’a répété qu’une fois, il devait se fondre dans la foule …» Gros mensonge. Dès le début du projet, il avait souhaité participer et n’avait manqué aucune répétition, contribuant activement à la bonne humeur générale; seulement, cent heures de travail ne seraient pas venues à bout de sa gaucherie, en dépit de sa bonne volonté. Regard noir de Nina : «Ce sera lui, avec Fanny.»
Gros plans ou plans américains, au montage (c’est rageant) on ne vit jamais leurs pieds. En revanche, la moustache de Jean-Mi, ça avait une sacrée gueule. Et il dansa avec tant de décontraction et d’élégance, que lors d’un plan de raccord, il fut de nouveau mis en valeur.
Pas de regrets : mes rapports avec Françoise Fabian et François Perrot furent si détestables que ma carrière de chorégraphe pour la télé se serait de toute façon arrêtée là. N'empêche que de voir son nom au bas d'un générique, ça fait du bien à l'ego. Je pense avoir encore une copie de la cassette.
San José, août 2003 - Saint Germain, novembre 2008. |