Le livre ouvert : Remembrances ACCUEIL


Christian Talbot Publications
Annexes.


Remarque à propos du peu d'informations que je parviens à recueillir : «A la campagne, tout est toujours déformé : les vérités comme les menteries. Du coup, on se tait … de peur d'en rajouter. »

Des surnoms.
Veillat, qui avait un défaut de prononciation et bégayait, m'avait surnommé Nestor. Ou c'était ses enfants …
"Barbiche" travaillait comme chauffeur chez René. Lui m'appelait "Zizi". Quand il était sur la route, il m'arrivait d'emprunter sa moto pour aller faire un tour. Mais j'y allais doucement : je n'étais pas très hardi !
Mon frère n'a jamais voulu que j'en aie une. Alors qu'il avait fait les pires trucs à la queue d'un avion. Comme il se sentait responsable de moi, il m'interdisait de faire quoi que ce soit de dangereux.
Marie Labesse, la femme de Silvain, devait avoir une sorte de cancer qui lui avait déformé le nez. Des gamins l'avaient baptisée "la tante saucisson" mais ça ne m'a jamais plu. Autrement, au village, on l'appelait "Baboche".
La plupart du temps, je ne saurais pas dire l'origine de ces surnoms.




Les textes qui suivent sont soit des anecdotes postérieures à la guerre, soit des réflexions de mon papa sans rapport avec le propos de "Remembrance".
  La pêche au calibre 12.

«Il ne devait pas être loin de midi et, de toute la matinée, je n'avais rien vu. Pas "rien tiré", pas "rien tué", non : rien vu. Pas un lapin, c'était normal : la myxomatose les ayant décimés l'année précédente (1). Mais les faisans, les perdrix, les lièvres, où étaient-ils donc passés ? J'avais traversé les Landes, m'étais aventuré jusqu'à la "Grosse pierre", étais redescendu au niveau de la route de Villesigne à travers champs et taillis sans lever le moindre gibier. Natif du village, ce n'est pas me vanter que de dire que je connais ce pays comme ma poche ! Mais, bon, il y a des jours comme ça où tout se ligue pour faire échec. Un autre chasseur aura tué, plus tôt dans la matinée, le faisan que, sinon, j'aurais débusqué. Un chien, passant par là, aura fait fuir, du champs que je traverserai quelques minutes plus tard, la volée de perdreaux qui était destinée à finir dans mon carnier. Et le lièvre qui, chaque jour à heure fixe traverse d'est en ouest telle pièce de labours, aura, une fois n'est pas coutume, différé ou avancé sa balade ; de telle sorte que nos chemins ne se sont pas croisés. Voilà, c'est pas plus compliqué que ça mais fait toute la différence entre une bonne partie de chasse et une matinée de dimanche perdue. On se dit alors : "J'aurais mieux fait de rester au lit" ou encore : "Si j'avais su, j'aurais rangé la "corde" (2) de bois que le "scieu" (3) nous a débité avant-hier. Au moins, à l'heure qu'il est, je serais débarrassé de la corvée."
Résigné à regagner au plus vite la maison pour le déjeuner, je coupai en ligne droite, direction le Cheveyron. Et, en sautant la Gane de la rue, un scintillement, un reflet, je ne sais trop quoi dans ma vision périphérique attire mon attention. De là où je suis, le soleil se réfléchit sur l'eau et m'aveugle. Je suis cependant convaincu que quelque chose a bougé, là, sur ma droite. Du vivant. Par acquis de conscience, comme on dit, je franchis à nouveau et dans l'autre sens le mince ruisseau. De retour à l'ombre du feuillage, on pourrait compter les cailloux tant l'eau est limpide.

(1) Je présume donc que nous sommes en 1955.
(2) En Creuse, une corde équivaut à 2 stères ou 2 m3.
(3) Probable avatar patois de "scieur", celui qui scie le bois. Il arrivait avec une scie circulaire électrique sur roues attelée au cul de sa "Juva 4" et débitait des branches grosses comme des cuisses en tronçons de 30 cm qu'il faudrait refendre à la hache pour les introduire dans la cuisinière.
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