Retour au bercail.
« De retour à Bochum, j’eus tout juste le temps d’aller récupérer ma valise avant de sauter dans le train pour Paris. Et là, coïncidence incroyable, je retrouve mon Germain qui bénéficiait de la permission statutaire. En chemin, il m’explique qu’il n’a pas l’intention de retourner “bosser pour les Boches” et qu’il connaît, dans l’Yonne, une petite ferme où nous pourrions nous planquer en attendant la fin du conflit. J’abonde dans son sens pour ce qui est de ne pas retourner là-bas, mais décline son offre : j’ai de la famille dans l’Eure et c’est là que je compte me réfugier.
Nous nous apprêtons à nous séparer à la gare de l’Est mais il se trouve qu’une fois de plus nous allons au même endroit : station de métro “Les gobelins”. Je l’accompagne rue du Banquier chez une dame qui doit le loger quelques temps. Nous nous quittons ensuite en promettant de nous revoir “après tout ça”.
J’ai pris une chambre dans un petit hôtel du boulevard Saint Marcel, bien décidé à passer voir ma “fiancée” à la boutique de son père, boulevard Arago, dès le lendemain.
Ensuite, je vais passer dix-huit mois à Aubevoye, chez ma sœur Aline. Ma nièce, Ginette (5), qui travaillait à la mairie de Gaillon, m’a fourni d’authentiques faux papiers grâce auxquels j’ai pu me faire engager comme forestier au château de Tournebut. Cependant, je n’avais pas de tickets de rationnement et c’est sur ceux de ma sœur, mon beau-frère et leurs enfants que j’ai pu me nourrir. Je leur en serai éternellement reconnaissant. »
Épilogue.
« Je suis revenu à Paris en mars 44 pour épouser Simone, ma “fiancée”, en dépit de la pénurie et du fait que j’étais toujours recherché. Puis la guerre s’acheva et la vie redevint normale.
J’avais trouvé, dans une fabrique de la rue du Banquier, un travail qui me plaisait. Courant 46, j’y croisai l’ancienne logeuse de Germain. C’est elle qui, m’ayant reconnu, m’accosta. « Savez-vous ce qui est advenu de votre ami ?
(5) Sa participation à l’œuvre de résistance fut brève : arrêtée par la Gestapo, déportée à Ravensbrück, elle ne survécut que grâce à son extraordinaire vitalité qui lui permit d’attendre, dans des conditions épouvantables, la Libération. |
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– Non, je n’ai jamais eu de ses nouvelles.
– Eh bien, figurez-vous que, pendant la débandade des Allemands, l’un d’eux se trouve avec un pneu de sa moto dégonflé à proximité de la ferme. Il pousse la moto jusque dans la cour et demande à l’ouvrier qui travaille là, un Portugais si j’ai bien compris, s’il a une pompe à lui prêter. Que oui qu’il dit, l’autre, et il fait mine d’aller la chercher. Seulement, il revient avec un pistolet et il tue le soldat. Mais ces bêtes-là se trimbalent pas toutes seules ! Il était peut-être en éclaireur ou quelque chose comme ça. Bref, d’un camion qui suivait descend une flopée de Fritz qui encerclent la ferme et se mettent à tirer sur tout le monde. Pas un n’en a réchappé y compris ce pauvre Germain. »
Et voilà : si j’étais parti avec lui, je serais sûrement mort aussi. Je suis incapable de dire combien de fois j’ai frôlé la mort pendant ces années-là. Ce dont je suis certain, c’est que CEUX QUI SONT REVENUS ONT EU DE LA CHANCE. »
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Ce soir, mon père m'a dit : « Certains trucs, je ne te les raconterai jamais parce que tu les écrirais dans ton machin et j'en ai pas très envie. »
Souesmes, 1er mars 2011. |