Le livre ouvert : Petits moments ACCUEIL


Christian Talbot Publications
Ce petit grand-père à l'allure fragile m'a séduit d'emblée par sa gentillesse, son humour et son infinie patience avec les enfants. Un jour, alors qu'il portait un polo à manches courtes, il fut interrogé par mon plus jeune fils, Glenn-Maël, sur l'origine de l'horrible cicatrice déformant son bras droit. Il raconta donc comment une balle explosive lui avait emporté la moitié du biceps sans toucher, par miracle, l'humérus. J'en profite pour noter avec quelle pudeur il s'est abstenu, dans son récit, d'évoquer en détails, les événements qui ont porté atteinte à son intégrité physique.
Il mangeait peu, ne buvait guère, surveillé de très près par Simone, plus soucieuse de la santé de son homme que de la sienne propre. Vivant à pas comptés, il semblait ménager ses forces : la Camarde rôdait autour de lui depuis si longtemps que chaque jour nouveau était pour lui un cadeau du ciel qu'il se devait de consacrer aux multiples combats qu'il avait entrepris.
Sa surdité (due, apparemment, à des coups de revolver tirés tout près de son oreille) qui le coupait du monde dès que plusieurs conversations s'entrecroisaient autour de lui, en faisait un commensal réservé lors des repas qui nous réunissaient. Cependant, il n'était pas nécessaire de le solliciter longuement pour entendre sa voix fluette entonner Colores ou Carmela. Dans ces moments-là, son regard, d'ordinaire si clair qu'il eût pu sembler naïf, prenait de la profondeur et luisait de malice.
Il souffrait de maux multiples, un peu plus, peut-être, que les autres personnes de son âge, mais je ne l'ai jamais entendu se plaindre.
Nous n'avons jamais parlé "politique", ensemble.

San José, mai 2004.
 
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