Le livre ouvert : Remembrances ACCUEIL


Christian Talbot Publications
Remembrances : origines.


À Danoue, ma sœur, sa fille.
À ses petits et arrière-petits enfants pour qu'ils sachent que si, à lui, elle sembla ordinaire, la vie de leur Papé ne fut pas banale.





Quand j'étais gamin, j'ai entendu mes parents (au sens large du terme, tous les membres de ma famille) raconter des anecdotes du passé. Mais je ne me suis pas souvenu de grand chose. À cette époque, “Marignan, 1515” ne me concernait pas. Ce qui remontait à avant ma naissance ne pouvait être que “radotages de vieux”.
  Et insidieusement, j'ai cessé d'entendre. Ils ne se racontaient plus. Ils parlaient d'autre chose. De fait, j'ai oublié ; j'ai oublié de m'en inquiéter.
Puis, au moment où cela m'aurait intéressé, où, l'âge venant, j'ai éprouvé l'envie (le besoin ?) de retrouver mes racines, je n'en entendais plus parler. Certains avaient disparu, d'autres étaient nés, et donc on parlait plutôt du présent, voire de l'avenir, et le passé n'était plus d'actualité.
En ce qui concerne le retour aux racines, je tiens à préciser que je ne ferai pas des pieds et des mains pour m'acheter une maison en Creuse. Ce que mon père n'a pas fait non plus, pour d'autres raisons : d'abord, quand, adulte, il y retournait en vacances, il souffrait, dès le troisième jour, d'acouphènes fort invalidants ; ensuite, et même s'il garde de son enfance quelques souvenirs agréables ou amusants (les souvenirs de jeunesse ont toujours ceci de plaisant qu'ils nous parlent de notre jeunesse), ce qui domine malgré tout, c'est la prise de conscience aiguë et précoce de la pauvreté des gens et de la rudesse extrême de leur vie, alors et en ce lieu. Il désignait souvent sa terre natale comme “le pays de la fringale” ; il ajoutait n'avoir été élevé qu'avec “da tréfiailles et do cailla”(1). Il omet de dire, mais c'est probablement pour la concision de la sentence qui, autrement, perdrait de son pouvoir d'impact, qu'en automne, les châtaignes remplaçaient les pommes de terre. Ceci étant, il ne serait probablement pas éloigné de la vérité de dire que, dans les campagnes de la France dite profonde, au début du XX° siècle, les gens vivaient comme au Moyen Âge(2).



Les textes rassemblés sous la bannière de “Remembrances” sont issus de souvenirs dits de famille. Je rapporte certains tels que je les ai reconstitués à partir des conversations d’adultes qu’enregistrèrent (plus ou moins fidèlement) mes oreilles d’enfant.
D’autres ont été recadrés grâce à certaines précisions que j’ai glanées ces dernières années auprès des “survivants”.
Dans la troisième catégorie, textes entre guillemets, je reproduis, aussi fidèlement que possible (hélas, il manque toujours les intonations, le timbre de la voix) des histoires que mon père m’a racontées depuis le décès de ma mère, quand nous nous retrouvons tous les deux et que je lui “tire les vers du nez”.

(1) "des pommes de terre et du lait caillé", en patois.
(2) Il faut lire, à ce propos, la "Soupe aux herbes sauvages" d’Emilie Carles.
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