Le livre ouvert : Mauthausen ACCUEIL


Christian Talbot Publications

PROLOGUE DE SANTIAGO CARRILLO
VICTIME MAIS VAINQUEUR DU TERRORISME FASCISTE

Antonio Muñoz Zamora ne pourra pas voir ce livre. Il est décédé au moment où E.Camacho et A. Torregrosa corrigeaient, en imprimerie, les dernières épreuves du texte dans lequel tous deux ont rapporté les incroyables témoignages, les jugements lucides d’un militant communiste d’Almería. En le lisant, je croyais l’entendre, lui, à la voix posée et calme, maître de lui pour parler de l’un des plus grands drames du XXème siècle, l’univers concentrationnaire nazi, comme s’il ne parlait pas des souffrances terribles et quasiment indescriptibles qu’il avait personnellement vécues.
Ce livre rend compte de souffrances à la limite de l’humainement supportable. Même sans les avoir vécues, il est aisé de les décrire, de rendre par écrit tout ce qui s’est passé. Je ne crois pas que dans notre histoire il y ait eu de telles horreurs, de telles démarches d’anéantissement de la personne humaine. Argelès, Barcarès, les camps de concentration où le gouvernement français de l’époque a enfermé les combattants de l’armée républicaine vaincue, avec des humiliations et des injustices de tous genres ne sont rien par rapport aux camps nazis. À Barcarès, à Argelès, arrivent encore l’écho de la solidarité du peuple français, les encouragements du monde entier, des amis de la République espagnole.
Dans ces camps, l’espoir est encore bien vivant, la dignité de l’individu subsiste, les prisonniers sont encore confiants en la victoire ; ils regardent les gardiens comme de pauvres types incapables de comprendre qu’au coin de la rue arrivent les barbares qui vont faire d’eux, les gardiens, des prisonniers.
On pouvait encore sortir des camps français et gagner sa vie en travaillant ; on pouvait s’organiser pour continuer la lutte. C’est ce qu’ont fait des milliers de républicains, c’est ce qu’a fait Antonio Muñoz Zamora, l’almérian. Un jeune homme, typique de sa génération, qui a mûri pendant la République et qui s’est engagé à forger une Espagne

(2) Santiago Carrillo Solares (né le 18 janvier 1915 à Gijon, Asturies) est un homme politique et un écrivain espagnol, dirigeant du PCE (Parti communiste d'Espagne) de 1960 à 1982. Après la mort de Francisco Franco (20 novembre 1975), il a joué un rôle important dans le processus de la Transition démo-cratique espagnole, qui aboutit à la ratification de la Constitution espagnole de 1978. (Wikipedia)
  nouvelle, plus libre, plus ouverte aux courants émancipateurs qui agitaient alors la planète. Une génération convaincue de réalité de cette strophe de l’Internationale :
LE MONDE VA CHANGER DE BASE…
NOUS NE SOMMES RIEN, SOYONS TOUT…
Poussé par ses fortes convictions, à 16 ans, lors du soulèvement franquiste, Antonio s’engage comme volontaire dans l’armée de la République. Il y parvient en falsifiant son âge, avec la complicité de son père, ouvrier, qui comme lui pense qu’il faut défendre les libertés. Il fait toute la guerre, participe aux grandes batailles livrées par les républicains. À Brunete, une balle le blesse au bras. Sur l’Ebre, il est de ceux qui traversent la rivière pour mettre les fascistes en fuite puis qui résistent ensuite pendant des mois à de terribles batailles. Il entre en France le 9 février 1939, sans se considérer vaincu, mais persuadé qu’en Espagne venait de commencer la guerre mondiale contre le fascisme. Dès qu’il peut, il s’engage dans la Résistance espagnole en France pour poursuivre le combat ; puis il intègre le Parti Communiste, attiré par l’abnégation de celui-ci et la volonté de lutte de ses militants. Au fil des pages de ce livre, apparaissent, fugaces, ces militants tel Antonio Moreno, torturé puis fusillé par les occupants nazis. Antonio Muñoz fait référence à ce personnage avec beaucoup de tendresse. Il connaît aussi le premier traître qui va livrer son groupe de résistants espagnols à la Gestapo.
C’est à partir de là que commence son terrible calvaire : prison de Rennes, camp de Compiègne, Dachau et, pour finir, Mauthausen. À la porte de cette énorme usine à cadavres on pourrait inscrire la phrase de Dante : « Abandonne tout espoir. »
À Mauthausen, on y va pour mourir, mourir immédiatement ; l’attente ne dépend que de la résistance individuelle. Mais voici le four crématoire qui fonctionne sans arrêt ; les chambres à gaz, les interminables files sous la pluie, la neige ; la faim, les travaux forcés. Le système est prévu pour que personne ne sorte vivant. Il cherche à créer la notion de culpabilité, y compris entre les victimes. Les nazis voulaient arriver à ce qu'aucun de ces hommes ou de ces femmes regroupés dans les camps ne se sente encore un être humain ; à faire de ces victimes des acteurs du crime. Seule une minorité évitera la mort et l’avilissement en créant un noyau de solidarité.
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